Cela fait 2 ans et demi que j’ai rejoint l’équipe du Bayon. A mon arrivée nous avons démarré le projet des « potagers du Bayon ». Nous soutenons et accompagnons 11 familles parents ou grands-parents d’élèves de notre école primaire dans la création et le développement de potagers. Les légumes produits, bons pour la santé, sont vendus à la cantine de l’école et nourrissent chaque jour 250 élèves. Ces farmers sont toutes des femmes, cela n’était pas une volonté de notre part mais une réalité qui s’est imposée.
En m’engageant dans ce projet, je savais qu’il faudrait donner du temps, de l’énergie, de la patience, de la persévérance. Mais jamais je n’aurais pu imaginer combien j’allais recevoir en retour de la part de ces 11 femmes. C’est énorme pour moi ! Bien qu’elles ne possèdent quasiment rien, vivent dans la misère et l’isolement, travaillent dur, soient confrontées à la maladie et aux deuils, elles ne sont que sourire, générosité, bienveillance, gratitude, empathie et courage. Une belle leçon de vie qui me donne souvent à réfléchir !
Le projet avance pas à pas, au rythme du Cambodge. Ces femmes vivaient en marge de la société, souvent dépendantes financièrement de leurs enfants ; aujourd’hui, elles travaillent, produisent et gagnent de l’argent. Malgré la barrière de la langue, et le fait que je ne comprenne pas toujours ce qu’elles racontent, la fierté qu’elles dégagent saute aux yeux.
Dans les milieux ruraux, les jeunes cambodgiens sont généralement dans l’obligation de quitter le foyer familial pour trouver du travail dans des régions parfois éloignées. L’éclatement de ces foyers est contraire à la tradition khmère où la notion de famille au sens large est fondamentale. Culturellement, grands-parents, parents, enfants, belles-filles, gendres et petits-enfants vivent sous le même toit. Mais, lors de nos visites hebdomadaires dans les fermes, nous étions habitués à rencontrer ces femmes seules, avec pour unique compagnie, enfants et petits-enfants en bas âge, confiés par leurs parents.
La crise du Covid 19 et l’absence de touristes ont entrainé la perte de leur emploi pour beaucoup de jeunes qui sont revenus dans le giron familial. La vie de famille a repris dans les fermes ! Et ce retour des jeunes offre une nouvelle main d’œuvre non négligeable. Cela a eu pour conséquence l’agrandissement des fermes, l’augmentation de la production et le développement de nouvelles activités.
Ces femmes que nous formons depuis 2 ans aux méthodes de l’agroécologie, transmettent aujourd’hui leur savoir à leurs enfants et petits-enfants, les dirigent, les encadrent. Leur fierté est immense, elles ont pris la place de chef de famille et patronne de la ferme.
Ferme de Sem Chum : une nouvelle ambiance
Sem Chum est veuve. Elle est âgée de 57 ans, mère de 4 enfants, grand-mère de 3 petits-enfants. Dans sa ferme régnait une ambiance silencieuse que seul le chant des oiseaux venait troubler. Malgré la solitude et la dureté du travail qu’elle accomplit, elle nous accueille toujours avec un sourire rayonnant. Aujourd’hui ce sourire est encore plus franc et il s’accompagne d’une légitimité et d’une dignité auprès de ces proches.
Le silence a été remplacé par les rires des petits enfants, les discussions des plus grands, les marmites qui bouillonnent, le croassement des grenouilles, le nasillement des canards et le gloussement des poules. Les ordres et les conseils fusent pour le bon fonctionnement de la ferme familiale dans laquelle on sent une nouvelle effervescence ! Il y a trois mois, Sem Chum a vu revenir deux de ses fils avec femmes et enfants ainsi que sa dernière fille.
Sous la direction de notre farmer, cette nouvelle équipe familiale s’est mise à l’œuvre. Bien évidemment la production a explosé et de nouvelles activités ont été créées. Grace aux formations qu’elle a reçues et aux ressources humaines et pécuniaires aujourd’hui disponibles, Sem Chum et sa famille ont agrandi leur potager, démarré un élevage de grenouilles, de poules, de canards… Une étable est en cours de construction pour accueillir une vache. Ces nouvelles activités sont sources de revenus. Elles permettent aussi à la ferme de s’approcher de l’autosuffisance. De plus, la fiente des poules et des canards, et la bouse de vache qui étaient achetées pour confectionner le compost naturel, sont aujourd’hui disponibles sur place.
Et la suite ?
Malgré ces conséquences étonnantes, la production de produits organiques reste très à la marge au Cambodge. Près de la moitié des légumes consommés chaque jour sont importés des pays voisins, cependant le gouvernement pousse les coopératives locales à se développer notamment à travers de projets pilotes comme celui-ci. Les farmers soutenus par le Bayon sont entrés dans une phase de consolidation de leur production, il faut maintenant trouver des débouchés pour leurs légumes et encourager le marché de l’agriculture organique à Siem Reap.
Un grand merci à tous les volontaires impliqués dans le projet depuis le début : Marine, Paul, Léa, Camille, Soraya et Clémentine.